Manger dehors en 1950
- Nicole Claudine Arboireau

- 24 juil.
- 3 min de lecture
L’été est là et cuisiner dehors est un bonheur de vacanciers enfermés le reste de l’année en appartement. Vous possédez une cuisine d’été ? Joliment couverte, aménagée avec soin, avec barbecue, réfrigérateur, voire même four… Vous mangez dehors avec autant de confort que dedans. Reste le plaisir d’être dehors, souvent près de la piscine…
Je n’ai jamais désiré cela ! Dans mon enfance, manger dehors était une fête sans façon. Dans les années 50, mes parents sous-louaient la partie principale de notre maison ne gardant que leur chambre. Coutume nécessaire pour boucler le maigre budget et pratiquée de même par tous nos voisins. Un grand garage qui avait dû abriter les voitures d’une autre époque devenait la pièce à vivre. Maman cuisinait dehors sur un Butagaz portable avec en guise d’évier un robinet et son tuyau coulait dans une bassine en zinc.
Elle gardait, elle, de bons souvenirs de ces étés de campement car un coup d’escoube (balai grossier) et tout partait dehors, puis un coup de jet pour fixer la terre afin que la poussière ne rentre à nouveau. Elle qui cirait les marches de bois de l’escalier intérieur se laissait enfin aller à la facilité.
Nous mangions sur une vieille table rallongée par mon père, car nous étions nombreux, trop nombreux à mon goût. Les assiette dépareillées, les verres de toutes formes, les couverts hésitant entre la vieille argenterie et la ferraille de guerre, (les garçons se disputant pour avoir l’assiette et le quart militaire en fer). Ils se fichaient de l’esthétique, mais moi je plaçais sur la table un petit bouquet mal fichu d’asparagus et de laurier rose, déjà…
J’avais la charge de la vaisselle à laver, personne ne l’essuyait car elle séchait très vite, retournée en plein soleil sur la table. Je n’aimais pas cette corvée. A l’époque d’avant le plastique, on se servait d’une cuvette en zinc remplie d’eau froide où on ajoutait une poignée de cristaux de soude. (Le produit vaisselle n’était pas encore arrivé chez nous) Cela restait gras et pour décoller les plats et les casseroles, il n’y avait que du sable, réservé dans un vieux pot, qu’il fallait frotter avec un tampon fait de tiges de prêles ou de garance enroulées pour faire tampon. Après, il fallait rincer tout cela. L’eau de vaisselle et de rinçage n’était pas jetée, elle finissait au jardin pour arroser les pieds de tomates de papa et et les hortensias de maman. Le plus désagréable était à la fin, le lavage de la bassine avec les mêmes moyens... Elle devait être irréprochable car elle servait aussi à la toilette le lendemain matin !
Bien sûr, les cousins chahutaient et les assiettes cassaient. Pas de problème, mon père faisait régulièrement de la manutention à la Salle des Ventes et récupérait les invendus les plus modestes, ce qui expliquait la diversité étonnante de notre vaisselle d’été.
Quand aux assiettes, bols, saladiers ayant mal fini ils terminaient leur vie au jardin ! Les allées sauvages étaient dangereuses : entre les racines noueuses des arbres et les trous creusés par les orages qui étaient soigneusement bouchés par mon père avec des cailloux, de la terre, et les brisures diverses. Il y ajoutait quelquefois un reste de ciment. Cela tenait quelques saisons.
Les briques cassées, les tuiles brisées, la vaisselle, les poteries fêlées avaient un rôle important: presque chaque année, mon père re-creusait le canal d’écoulement des eaux usées qui coulait jusqu'au fond du jardin réservé aux bambous, car la terre s’infiltrant entre les pierres ralentissait le circuit. Pratique courante avant la généralisation du tout à l’égout !
Aujourd'hui, pendant que j’époussette mes collections de poteries, mes tableaux de fleurs (derrière lesquels les tarentes pondent discrètement leurs oeufs,) je comprends l'origine de ma curieuse passion pour les petits bouts d’assiettes brisées roulés par la mer, les bouts de briques usées où l’on peut lire encore le nom de la fabrique… le coeur n’oublie pas .
Par mimétisme sans doute, j’ai drainé des allées au jardin avec des bouts de carrelage, de poterie, de vaisselle… quelquefois les gros orages les dégagent leur redonnant toute leur histoire. Et que dire de mes caisses de vieux carreaux dépareillés qui attendent bien rangés au fond de la cave une inspiration de la jardinière? Il me reste quelques marches à finir et j’aimerai bien essayer sur un mur recoller des bouts de mon enfance...













