Fleurs étranges et plantes extravagantes
- Nicole Claudine Arboireau
- 5 juin
- 2 min de lecture
Le papier peint de ma chambre d’enfant était couvert de fleurs extraordinaires, bouffies de six rangs de pétales pointus, piquées d’un pistil démesuré et cernées d’une verdure de feuilles crénelées. Les tiges sinueuses, courbées sous le poids de cette opulence, s’inclinaient pareillement, depuis le plafond jusqu’au sol en rangées régulières. J’aimais tant ce papier peint aux couleurs fanées que je répétais maladroitement sa fleur grotesque sur les frises de mon cahier d’écolière. En ce temps là pour clore la journée de travail, les élèves avaient le droit de dessiner, entre deux lignes cadrillées, une frise régulière, mais libre d’inspiration...
J’aimais aussi les enluminures des vieux livres de contes dont la première lettre du chapitre, emberlificotée de lianes curieuses, devenait à elle seule un petit tableau que l’on pouvait déchiffrer en tous sens.
Dans ces contes merveilleux et angoissants, les arbres du bois dormant se convulsaient en une friche impénétrable, les haricots forcément magiques lançaient leurs tiges aventureuses jusqu’au ciel, la citrouille se changeait en carrosse, tandis que la pomme rouge si tentante procurait à la gourmande un sommeil léthargique…
J’ai gardé de mon enfance, le goût des fruits immangeables, le vice des cucurbitacées, la manie des buissons épineux, l’attirance pour les fleurs étranges. Ces bizarreries végétales rencontrées dans les histoires ont inspiré ma quête botanique.
L’harmonieuse composition des massifs fleuris, l’enlacement superbe des rosiers et des jasmins, la senteur chaude des aromatiques , l’ombre douce des arbres compensaient le travail acharné de la jardinière, mais quelque chose manquait. Comme contrepoint à tout cet ordre, il fallait oser un soupçon de laid ou d’inquiétant, une touche de fantaisie de mauvais goût, quelque fétidité, la pétarade d’une plante incongrue ...
Ma quête me conduisit à chercher des fleurs empoisonneuses, des fruits boursouflés et verruqueux, des sèves vésicantes, des herbes à maléfices, des plantes étrangleuses, des tiges biscornues, des enroulements, des pics, des griffes…
Ces plantes, herbes de vice ou de magie, ne furent pas difficiles à dénicher : Elles bordent les fossés, colonisent les tas d’ordures, peuplent les friches et répandent leur semence à tous vents. J’ai recueilli leur progéniture, poussée sans soins à leur pied, que j’ai installée, en quarantaine, dans la terre brune d’un quartier réservé. J’ai retenu les aventureuses, les explosives, les malodorantes, les stupéfiantes, les belles sournoises et les vraies poisons.
Je leur ai offert une résidence surveillée au jardin après avoir tiré un trait sur leur passé inquiétant et sur les soupçons qui continuent à peser sur elles.
Elles détonnent, intriguent, inquiètent. Indifférentes, libres, sûres de leurs pouvoirs, elles dansent un joyeux sabbat au milieu de mes massifs raisonnables.
Elles sont la liberté rendue à mon imaginaire, le bas de ma page laborieuse enfin terminée. Cette frise de fleurs extravagantes, hérissée d’épines, souligne la composition de mon jardin, comme elle achevait la page de mon cahier d’écolière.


La férule du maître d’école : Ferula communis